« Le point commun qui rassemble sous la même bannière des voyageurs aussi différents qu’il est possible d’en rencontrer est le désir inextinguible d’intensifier sa vie, de l’engager sur des chemins périlleux pour mieux en saisir la valeur, de sauter par dessus les parapets de l’habitude pour rejoindre le royaume de l’imprévisible. L’autre point de convergence reste l’amour du monde extérieur. Et chacun des récits de voyageur célèbre tous le réel. Chacun des auteurs du présent ouvrage pourrait faire sien ce mot du Hamlet de Shakespeare ‘Il est plus de merveilles en ce monde que n’en peuvent contenir tous nos rêves’. » Passage tiré d’un livre trouvé sur ma route de Sylvain Tesson.
Ile du Sud, Chapitre II
Après avoir passé mes derniers jours près de Punakaiki, il était déjà temps de dire au revoir à mes coupines Willa, Maria et Lilou, puis à tout le reste de l’équipe pour reprendre la route seule. La météo ne nous avait pas été favorable les derniers jours et je priais pour que cela s’améliore le jour de mon voyage.
29 Novembre
Je me suis donc réveillée très tôt pour parcourir les quelques 320km que j’avais à parcourir jusqu’à ma prochaine destination. Objectif de la journée : atteindre la Golden Bay, au nord de l’ile Sud et rejoindre la petite ville de Takaka où je devais rencontrer mon prochain hôte. Le trajet fut quelque peu mouvementé en matinée, mais je n’eus pas trop de mal à trouver mes compagnons de route. Et cinq lift différents plus tard, je rejoignais presque sans trop de difficultés ma destination finale. Le dernier tronçon de route pour rejoindre la Golden Bay comprenait 365 virages sur la Takaka Hill Road que j’ai parcouru avec un camionneur de la région. Autant vous dire qu’en montée, on était plutôt à la ramasse mais le mec était assez sympa et me suis donc facilement accommodée de la longueur de cette dernière distance. C’était mon deuxième camionneur de la journée. Il faut croire que ma vocation cachée dans ce secteur est encore pertinente, je pourrais sans doute songer à une reconversion professionnelle imminente vu les quelques essais de conduite sur la route. Affaire à suivre ! La route était magnifique, nous plongions dans cette région montagneuse en se glissant subtilement dans la vallée qui annonçait déjà un paysage grandiose.
Arrivée à Takaka, je rejoins Joe dans un bar où il m’avait dit que je pourrais le trouver, il a l’air bonne ambiance ce gars, ça s’annonce bien ! Accueil à la bière et à la tequila, autant vous dire qu’avec la route que j’avais dans les pattes et le soleil qui tapait maintenant depuis quelques heures sur ma tête incapable d’encaisser le moindre surplus de soleil, j’étais bien. Ambiance chaleureuse et décontractée, j’avais l’impression de débarquer en vacances chez des vieux potes. Nous avons rejoint la petite « ville » de Pohara, se résumant à deux campings, une centaine d’habitants et c’est plus ou moins tout.
Ce fut ensuite la découverte du South Star, ce fameux bateau aux allures de pirates modernes, sur lequel j’allais séjourner pour les 9 prochains jours. Le bateau était assez explicitement représentatif de son propriétaire ; décalé, simple et rustique, mais un tout tout petit peu perché tout de même. Joe me fit visiter les alentours, kriek cachée et caverne secrète où on aurait dit qu’un mec vivait là échoué depuis des années. J’ai un peu halluciné quand il m’a dit « je vais te montrer la bibliothèque », heu, ici ? Haaa ouai j’ai vite compris. Dans le creux de la roche, se tenait une série de livres à échanger « entre pirates ». Dites excusez moi, mais, je peux savoir où j’ai atterris haha ? J’avais l’impression d’avoir débarquer dans la 5ème dimension d’un film fantastique.
Les premiers récits de Joe me faisait d’ores et déjà voyager et j’en oubliais presque que ce qui m’entourait n’était pas la réalité que je vivais habituellement.
La région est assez connue pour le nombre d’artistes qui sont venus s’y établir pour vivre un style de vie « alternatif » au coeur d’une nature préservée. Et ben je peux vous dire qu’après l’avoir vécu, je réalise que tout cela s’est avéré plutôt vachement véridique ! En deux jours, j’avais rencontré une quinzaine de potes à Joe et avais échangé avec une série de personnes qui n’avaient pas l’air de vouloir quitter cet endroit un jour car ils y appréciaient trop le « mode de vie ». Bref j’avais compris que j’avais débarqué dans la version bis d’un camp de vacances pour youkou où la plus grosse question à résoudre de la journée était sans aucun doute, on boit quoi à l’apéro les gars?
30 Novembre
Le principe du woofingà la base, je tiens à le repréciser, est quand même de travailler quelques heures en échange du logement et de la nourriture. Et ben je peux vous dire que même après coup, j’ai toujours pas capté quel était mon travail. Cela n’avait pas l’air de trop perturber Joe. Il me disait profite, on travaillera plus tard. Je me contentais donc de suivre le mouvement et après quelques trajets en voiture avec la remorque chargée, nous avions exécuté nos premiers services de la journée.
S’en est suivi : Grand nettoyage du bateau un peu plus tard, apprentissage et échanges de nos connaissances sur les noeuds marins/d’escalade, série de récits autour d’une boite contenant autant de vieux billets et d’anciennes pièces de tous les pays du monde que le nombre de piques de sandflies que j’ai sur les pieds, pose vernis sur les orteils (j’ai eu droit à une pause verte fluo avec des paillettes dorées, vous imaginez bien ma joie), visite du café de John sur le bateau d’en face (actuellement fermé au public car en faillite mais reste ouvert gratuitement pour les habitués, normal), apéro dans le hammac sur un fond d’éléctro (car aucun besoin technologique nécessaire sur le bateau à l’exception de l’installation d’enceintes à l’extérieur), etc. Vous l’aurez compris, ils sont tous pas mal allumés mais on va dire que c’est ce qui en fait probablement leur charme.
Ceci était donc mon 5ème woofing, la cinquième version d’une vie que je ne connaissais pas avant de partir et l’expérience s’annonçait vraiment différente des autres. Vivre sur le bateau me plaisait assez bien, bien que mon espace vital était assez limité, je m’y faisais à peu près. Mon front témoignera cependant indéniablement du nombre de fois où je me suis fracassé la tête en me levant du lit, en sortant de la cabine, enfin un peu tout le temps. En prenant compte d’une de mes caractéristiques essentielles à savoir ici « maladresse légendaire », je vous laisse donc imaginer le résultat dans un espace quelque peu restreint, pendant 9 jours.
1 décembre
Nous sommes partis à l’aube pour aller à la pêche. J’étais aussi impatiente qu’une gamine devant ses cadeaux de Noël, me doutant d’ores et déjà que la journée allait me réserver quelques belles surprises. Lors de notre premier café de la journée, Joe me fit part de ses quelques inquiétudes quant à la présence importante de requins dans la région. Whaaat ? Et le mec il me dit ça normalement, genre non mais y a pas de soucis, généralement on a pas trop de problèmes. Mais il n’y a pas longtemps la dernière woofeuse chinoise que j’ai eu a du en tuer un qu’elle avait pêché « malencontreusement ». Genre sorry j’ai pas fais exprès les gars, j’ai attrapé un requin, normal. J’ai cru que c’était une blague mais me suis vite apperçue que ce ton n’était définitivement pas celui de l’habituel rire décontracté (et j’ai trouvé par la suite la preuve de cet épisode incroyable dans le guest book du bateau). Me voila donc enjaillée et rassurée pour cette expédition tiens ! Nous sommes partis en mer sur le petit bateau à moteur de Mike, un ami à Joe, avec Martins également. On jumpait sur les vagues comme dans une attraction de Walibi, mais en pleine nature. Plus on s’éloignait de la côte, plus je m’émerveillais du spectacle marin et du paysage de la Golden Bay qui s’offrait à moi. Lors de notre premier arrêt, j’ai exécuté avec beaucoup de concentration mon rôle d’assistance de pêche/plongée.
Les 3 loustics prêts et équipés à plonger, leur crochet à la main, disparaissaient peu à peu dans les profondeurs de l’océan. Autant vous dire, que je me suis contentée de flotter, patauger, et admirer la diversité des poissons qui nageaient autour de moi. L’expérience pêche au crochet nécessitant un minimum d’expérience, je ne pense pas que je n’aurais pas attrapée grand chose.
J’ai participé avec un enthousiasme non dissimulé au meurtre délicat et à la découpe d’une série de poissons, manipulés avec une délicatesse éclaboussante et une fraîcheur déboussolante. Le sang giclait partout, et moi je faisais mine d’être à l’aise, genre oui non vas y Martins, montre moi comment déchiqueter sa tête et découper le reste pour ne garder que le meilleur. Je peux vous dire que j’ai du m’accrocher quelques fois pour rester en pleine possession de mes capacités physiques et mentales. Ce fut malgré tout une très bonne leçon. Et là tu la sens bien, hein, la transition du woofing vegan où t’as l’impression que tu vas aller en taule si tu tues une mouche, à la bande de pêcheurs un peu rustiques qui ne s’encombrent pas de quelconques modalités liées à la pratique d’une vie marine.
Mais on dit que le changement a toujours du bon, j’ai donc essayée de m’adapter à ce nouveau mode de vie, qui après quelques jours me paraissait presque commun.
Pendant la suite de la journée en mer, après avoir croisé en naviguant une série d’otaries nous nous sommes réarrêtés pour passer à la phase « pêche plus calme ». J’étais poseyy, canapêche à la main et sursautant comme si j’avais gagné au loto au moindre mouvement que je sentais au bout du fil. A ma première vraie prise, j’étais fière comme si j’avais gravi l’Everest. Quelques heures plus tard, nous revenions donc à terre après une journée vraiment riche en émotions.
La fin de journée se conclut par un coucher de soleil devant lequel je suis restée totalement figée. La lumière disparaissait derrière l’horizon et les montagnes de la Golden Bay. Nous avons marché jusqu’au bout de la jetée, et à ce moment précis, regardant au loin sans penser à rien, je me sentais vraiment, au bout du monde. On a cuisiné nos trophées pêchés pendant la journée et suis partie me coucher la tête plein de nouveaux souvenirs. On passait la plupart de nos soirées à discuter et à se raconter nos vies. Me souviendrais toujours d’une de ses premières questions : « Et toi c’est quoi ton histoire » ? Je lui ai répondu que j’étais actuellement entrain de l’écrire. Il a souri, timidement pour une fois, et m’a répondu que tout ce dont j’avais besoin pour voyager, était de mes yeux pour regarder, de mes pieds pour avancer, et de ma tête pour penser. Je trouvais cela assez perspicace et bien résumé.
2 décembre
Réveil à l’aube pour entamer une nouvelle journée plutôt chargée. Nous sommes partis explorer le nord de la Golden Bay, ce qui était plutôt super sympa de sa part, car je ne pense pas que j’aurais su découvrir cette partie en démarrant seule du bateau. Après une première petite marche autour des springs de Te Waikoropupu où l’eau était si pure qu’il était clairement indiqué partout qu’il était interdit même d’y toucher du bout du doigt, nous sommes remontés plus haut vers la Farewell Spit Nature reserve. Celle-ci ci comprend quelques 36km de bancs de sable dont la vision finale se perdait littéralement dans mon champ de vision.
Nous nous trouvions donc sur la pointe la plus au nord de l’Ile du Sud de la Nouvelle Zélande et avons d’abord marché deux bonnes heures pieds nus sur la plage sans que je comprenne trop ce qu’il voulait qu’on atteigne (le bout de la plage étant vraiment très très loin). Une centaine de cygnes noirs nageaient, presque à mes côtés. Et soudainement, nous nous sommes mis à traverser un décors désertique mais végétal à la fois composé de dunes assez étranges. J’étais perplexe.
Et puis, j’ai compris. Je posais le premier pied sur cette plage cachée de toute civilisation, vraiment splendide. Nous marchions entre les nombreuses méduses échouées et les quelques crânes d’animaux marins probablement là depuis un bout de temps. Le sable était si chaud qu’il me devenait impossible d’y marcher pieds nus. Je commençais à bouillonner de l’intérieur alors que Joe gambadait tranquillement l’air de rien. Deux heures supplémentaires de marche plus tard, nous revenions à la voiture et nous nous rejetions dans une course effrénée digne d’un vrai karting sur les gravel roads qui menaient à tous les trésors cachés, krieks en tout genre de la Golden Bay. Nous avons atteint le Kaihoka Lake où nous y avons nagé et sommes ensuite allés vers Collingwood, complètement affamés. C’était définitivement une très belle journée. Après quelques arrêts en tout genre sur la route chez divers potes à Joe, nous sommes rentrés à bord.
3 décembre
A partir de jour là, Joe reprenait le travail (4 jours off, et puis 4 jours de boulot et ainsi de suite). Je vaguais donc à mes occupations personnelles et prenais mon petit vélo presque chaque matin pour aller explorer les environs. 15Km pour atteindre Takaka, 30 aller retour j’ai pas fait la maligne du tout ! Découverte des caves, de quelques randonnées et de plusieurs points de vue plutôt pas trop dérangeants.
Un jour, je suis partie en stop aussi pour aller jusqu’au réputé Abel Tasman National Park. Première fois que j’ai marché si longtemps sans être prise par quiconque qui croisait ma route. Mais 3heures plus tard, j’avais rencontré deux voyageurs américains avec qui j’ai passé le reste de la journée. La route tourne, toujours ! On ne sait jamais combien de temps ça va prendre mais j’ai appris avec le temps qu’il est bon de persister, toujours. Voila sans doute un des seuls avantages à être très bornée. Il suffit juste d’un peu de patience, puis vous le savez c’est bien mon truc la patience 😉
Pendant les soirées qui ont suivi, et qui étaient toutes assez différentes les unes des autres selon les personnes que Joe me présentaient, j’ai vraiment partagé des chouettes moments/discussions avec lui. Révélation ! J’ai adoré le nombre incalculable de récits autour de ses blessures et cicatrices de guerre en tout genre qu’il porte. Je suis certaine que ceci constitue la ligne commune qui nous a amené à ce feeling naturel. J’ai pas mal rigolé avec ses histoires de coeur aussi. Y a pas à dire, ce mec là il en a vraiment vécu. Dès que je l’eus connu un peu mieux, j’ai compris si facilement pourquoi il avait adopté ce mode de vie. Philosophie décalée mais intéressante, un peu trop perchée pour moi malgré tout par moment.
Avec le recul, je dois bien avouer qu’ils étaient quand même bien tous allumés par là bas. Ouai les potes, si vous avez l’impression que moi je faisais youkou par moment comme vous le dites, et ben croyez moi, je m’en tiens au stade de bébé comparé à la concurrence dans la Golden Bay.
Tant de souvenirs en si peu de temps, je pourrais continuer à vous raconter les moindres détails en l’écrivant encore sur des pages et des pages. Cette semaine de déconnexion, m’a plongé au cœur d’une nouvelle aventure qui est je pense sans doute la plus belle que j’ai vécue jusqu’ici.
Lors de ma dernière soirée sur le bateau, je regardais pour la dernière fois les étoiles par le petit hublot qui se tenait au dessus de nos têtes et me suis endormie presque paisiblement.
8 décembre
Jour du départ. 3h30 du matin. Pire réveil de ma vie, le superbe ciel de la veille avait laissé place à une tempête qui faisait tanguer le bateau comme ce n’était pas permis. Ce qui avait l’habitude de me bercer me rendait quasi malade. Une ami de Joe passait me prendre à 4h pour effectuer les quelques premiers 150km des 450 que j’avais à exécuter dans la journée. J’étais déphasée, démoralisée, et surtout très mal réveillée. J’ai donc commencé ma journée de stop à 6h un peu plus bas, sous une pluie qui ne s’arrêtait pas mais cela se révéla au final très productif. A 10h, j’avais parcouru plus des 3/4 de ma trajet et avais eu droit à quelques leçons de langage maori par un employé de la poste et à toutes sortes d’autres conversations en tout genre avec mes bienfaiteurs de la route.
Destination finale : Franz Joseph Glacier. Beaucoup plus bas sur la côte Ouest. Tout a été comme sur des roulettes, le stop devient de plus en plus facile, j’ai l’impression. J’ai opté définitivement pour cette façon de voyager, en tout cas en Nouvelle Zélande. Suis arrivée en début d’après-midi dans mon nouveau lieu de résidence pour les deux prochaines semaines. Suis actuellement dans une auberge plutôt sympa mais reste actuellement un peu dubitative à propos de ce nouveau séjour. Dur de quitter le bateau et dur de s’apercevoir que j’ai un peu l’impression de déchanter après tout ça.
Je travaille ici avec 7 autres filles, toutes allemandes. Bonjour, est-il possible svp de se mettre sur le même réseau de communication ? CHANGEZ DE CANAAAL, je suis arrivée ! Sérieusement, Je veux bien y mettre du mien mais si vous ne parlez qu’allemand ça ne va vraiment vraiment pas le faire. On va se foutre un coup de pied au cul et ça va être bien bien bien.
Sinon il paraîtrait que la région est super belle et que les montagnes et les glaciers Franz Joseph et Fox sont des must to do de la côte Ouest. Pour l’instant, il pleut en permanence mais j’ai quand même pu aujourd’hui deviner au loin les premiers sommets enneigés lors d’une petite randonnée. Je reste optimiste, trop de belles choses à voir dans le coin !
Bisous les coupains ! Je vous dis à bientôt pour un nouveau chapitre.
La bourlingueuse prend de la bouteille, ça transpire dans ses jolies lignes 😉 Enjoy ma Pijo!
Ah les allemands, ça n’a pas changé apparemment…
J’ai passé un excellent moment a vous lire ? bonne continuation ?