Après les majestueux temples d’Angkor, c’est vers un tout autre type de découverte que je me dirigeais. Départ de Siem Reap au petit matin pour un long trajet jusque dans la région du Rattanakiri, située tout au nord du Cambodge et assez reculée par rapport au reste du pays. 8 à 9h de mini bus, si l’idée de la sieste m’avait initialement pas mal tenté c’était sans compter sur l’activité incessante cambodgienne. Entre le mec qui charge son scooter derrière mon siège au deuxième arrêt, une petite dame qui me file sa gamine sur les genoux pour essayer de caser ses cages de poules et coqs entre nous, pas vraiment moyen de fermer les yeux. T’as déjà fait 4h dans un minibus bondé avec le cocorico d’un coq qui retentit toutes les 3 minutes ? Non ? Bah moi oui et franchement je vous ne le recommande mais alors pas du tout ! Après cette traversée quelque folklorique, j’arrivais à Banlung, point d’entrée de la région verdoyante et sauvage du Rattanakiri et seule ville du coin d’ailleurs.
Je fis connaissance de Puthea, mon hôte quivint me chercher en moto à la station de bus. Homestay plutôt simple et rustique mais cadre et famille au top ! Loin des foules de Siem Reap, ici c’est nature à perte de vue. Ce lieu fit réellement mon séjour. On oublie souvent en voyageant qu’on a pas vraiment de chez soi, et rien de tel que de séjourner dans un lieu où vous vous sentez véritablement bien même si ce n’est pour poser son sac que pour quelques jours. J’avais prévu de rester 3 nuits, j’y suis restée 5 au final. Ici pas de menu ou de formalités d’hôtel, on mange ce que la famille prépare et les services fonctionnent plutôt à la confiance. On note soi-même tout ce que l’on consomme et tout se fait avec une simplicité qui fait du bien. Histoire d’un homme issu d’un village très pauvre du Cambodge, Puthea me conte lors de notre première soirée, le récit incroyable et captivant de son parcours jusqu’à aujourd’hui.
Je pars en scooter en exploration pour une journée et j’y retrouve enfin la campagne cambodgienne dans toute sa beauté. Je me joins à un dimanche en famille au bord du lac Yak Loum, je marche en franchissant des ponts de singe menant à quelques cascades d’eau cachées, je me perds sur les pistes rouges des forêts tropicales et disparais dans la poussière, je découvre. Une journée solitaire et accompagnée à la fois, je fais mon petit bout de chemin pour ne pas changer.
Une des raisons qui m’avait fait venir dans la région était également les trekkings dans la Jungle. Difficile d’y partir seule car trop onéreux, j’attends de voir si je rencontre d’autres voyageurs à qui me joindre pour l’aventure. J’ai le temps, et ici, j’ai envie de prendre le temps. Je rencontre Sandra qui arrive ce soir là dans mon dortoir, allemande de 42 ans, voyageuse solo comme moi et sans trop comprendre le comment du pourquoi, Puthea nous convainc de partir le lendemain matin en trek.
Cette expérience de deux jours fut l’un des plus beaux souvenirs que j’ai eus au Cambodge, probablement mon moment fort de tout le mois passé là bas. Enfouie dans cette vaste région à la limite de la frontière laotienne, cette gigantesque jungle n’est habitée que par des minorités ethniques qui regroupent malgré tout quelques 3000 personnes. Notre guide nous expliquera que 6 minorités différentes y cohabitent et que la forêt est leur propriété. Très peu d’entre eux ont déjà ne serait que poser un seul pied en ville. Le salaire mensuel moyen des travailleurs n’excède jamais 50euros. On apprendra aussi que les interactions avec le « monde extérieur » sont quasi inexistantes. Ces minorités vivent de manière quasi autosuffisante et la forêt leur fournit presque tous ce dont ils ont besoin. Quelques villages ont aujourd’hui l’éléctricité mais cela reste assez exceptionnel. La cuisine se fait au feu de bois, très peu d’infrastructures, les maisons en bois sur pilotis sont assez petites. Toute cette région est complètement inaccessible par la terre.
Pour y accéder, nous faisons 1h30 de tuk-tuk avec Sandra et c’est à peine si on arrive à garder les yeux ouverts avec la poussière. Notre guide doit avoir mon âge je pense, il parle un anglais relativement compréhensible et c’est au bord de la rivière en fin de route que nous retrouverons notre deuxième accompagnant, Mister Trek comme il se fait appeler, notre ranger pour l’expédition, issu d’une de ses minorités. Avec les quelques agences qui ont développé sur les dernières années les treks dans la région, cette nouvelle profession est apparue dans les villages des minorités. Rapidement, tu comprends que c’est le mec que tu dois pas paumer dans la jungle. Alors même s’il est compliqué de communiquer, tu lui fais confiance les yeux fermés car c’est certain il la connait comme sa poche cette fameuse jungle. Et tu n’y suvivrais probablement pas deux jours sans lui d’ailleurs. On saute sur une toute petite barque à moteur et nous voguons sur l’eau en direction des coins les plus reculés. Le paysage est splendide autour de nuit, j’appercois quelques barques et petits ponts en bamboo des deux côtés de la rivière, j’y devine les premiers villages. Mais cela seulement après une bonne heure de bateau. On est déjà donc bien loin de toute forme de civilisation urbaine que l’on connait depuis un bout de temps. Je découvrirai par la suite que les minorités les plus reculées sont encore à deux/trois heures de bateau plus loin.
Alors que dans un premier temps les forêts ne désemplissent pas, j’appercois soudainement une énorme étendue où tout a été coupé et abattu. Notre guide nous expliquera par la suite que le gouvernement cambodgien a voulu vendre cette exploitation (à savoir toute la jungle) à une compagnie privée américaine il y a deux ans. Et que finalement grâce à une bataille acharnée des différents représentants des minorités ethniques soutenus par l’appui des manifestations du peuple, le gouvernement a fini par plier. Ils ont donc finalement abandonné toute activité de déforestation.
Nous revenons à terre pour démarrer notre randonnée. Nous ne sommes donc que 2 avec nos deux guides locaux et ça nous plait plutôt bien. Nous traversons quelques minuscules villages, on a véritablement l’impression d’être entré dans un autre monde. On s’équipe de nos hamacs/moustiquaires pour la nuit et on s’empresse de prendre le pas derrière Mister Trekking, un sac à patates sur le dos et une poelle accrochée, la machette à la main, qui nous guide vers les premiers sentiers. Nous quittons rapidement les chemins balisés pour se fondre dans la jungle cambodgienne. Pas un touriste à l’horizon, on sent qu’on s’éloigne de plus en plus des terres connues. On se croirait un peu dans Jumanji, on a l’impression que n’importe quel animal pourrait bondir et sortir de nulle part à tout moment. On ne croise « que » quelques arraignées mortelles aussi grandes que la paume de ma main. Mister Trekking ouvre la voie et dégage à la machette les passages trop serrés. Deux ou trois bonnes heures de marche dans la brousse (c’est qu’on y voit pas grand chose dans la jungle), nous traversons pieds nus quelques rivière, nous grimpons parfois, croisons encore quelques habitants de minorités ethniques et avançons sans trop comprendre où nous nous dirigeons. Pas le choix que de faire confiance à notre guide, mais franchement on se demande malgré tout comment il arrive à s’y retrouver. Tout se ressemble, les lianes s’entremêlent aux arbres d’une forêt sauvage gigantesque. Devant, derrière, à gauche, à droite. Tournez sur vous-même les yeux fermés puis rouvrez les et vous ne savez déjà plus d’où vous venez.
Sur le chemin, on croise quelques très larges arbres creusés de l’intérieur comme une cheminée. Nos guides nous expliquent qu’ils y font des feux pour y récolter la sève qui leur permet de construire/réparer les bateaux mais que cela ne tue pas l’arbre. Un peu plus loin, on découvre de nouvelles odeurs dans diverses écorces d’arbres utilisées pour les thés. Plus les découvertes avancent, plus on s’en rend compte que la forêt offre aux minorités une multitude de ressources différentes pour subvenir à leurs besoins.
Soudainement, nous arrivons au bord d’une cascade, où la vue est de façon assez surprenante plus dégagée et nous découvrons alors notre petit coin de paradis qui fera office de campement pour la nuit. La chaleur et la moiteur tropicale nous ayant malgré tout bien fait transpirer, nous plongeons avec Sandra dans la cascade fraîche de cet espace silencieux et apaisant, loin de tout.
Quelques armatures en bambou sont déjà installées et c’est donc à cela qu’on accrochera nos hamacs pour la nuit. La suite de l’après-midi suit son cours avec une sérénité assez déconcertante. Rien de spécial au programme, nous nous contentons de nous relaxer et d’observer nos deux guides en action. Grille de en bambou, cuisson du repas au bambou, structures de lit en bambou, verres de shot pour le rice wine en bambou; vous l’aurez compris sans bambou, on est clairement rien !
Cuisine lente au bord de la rivière, « installation » du campement, l’expérience du trekking dans la jungle se tenant plus à la « vie dans la jungle » qu’autre chose. On essaye de ne pas trop penser aux choses dangereuses qui pourraient se faufiler près de nous, ce qui a pas mal fonctionné jusqu’au moment où j’aperçus un putain de Cobra à deux mètres de moi alors que je marchais dans les environs du campement. Me voyant bondir et galoper d’un sens à l’autre de la rivière, Mister Trek vint à mon secours et ne s’acquitta que d’un petit signe de tête genre « haa un cobra, j’ai cru qu’il s’était passé un truc grave ». OUI c’est grave Monsieur et NON je ne veux pas le manger au barbecue (la réponse qu’il m’a donné quand je lui ai demandé s’il n’était jamais effrayé et qu’ils les cuisinaient parfois plantés sur une broche, bon ben d’accord…).
Haaa ben c’est qui qui voulait faire un trekking dans la jungle Jo ? On fait moins la maligne hein maintenant ? Bon ça vaaaa d’accord. Hormis l’incident, qui n’en n’était pas un d’ailleurs, et quelques sangsues collées à mes pieds, on a plutôt pas mal survécu je trouve. Le soleil se couche tôt et la nuit recouvre rapidement la jungle. Soirée à nous 4 sur les rochers à discuter, ou du moins à échanger. Je soupçonne nos guides d’avoir voulu nous bourrer la gueule au rice wine histoire d’être certains qu’on s’endorme. La nuit fut loin d’être terrible. « Suffit » juste de ne pas se laisser aller à la paranoïa au moindre petit bruit…
Lever matinal et petit déj royal, le feu est déjà rallumé lorsque nous ouvrons les yeux et nos guides déjà en pleine préparation. Nous replions nos sacs à dos et reprenons notre marche là où nous l’avions laissée. La deuxième journée fut aussi belle que la première. Deuxième incident, qui n’en n’est toujours pas un, break collation avec notre ami la tarentule, NON je ne veux toujours pas faire un barbecue de reptiles, d’arachnides ou peu importe Mister Trek ! OUI j’avais bien compris que vous les mangiez aussi, je te crois sur parole y a pas de soucis ! Nous randonnons jusqu’aux bords de la rivière où nous étions arrivés la veille. Scène d’un tableau parfait. Les buffles sont dans l’eau, les enfants jouent dans les arbres, on refait un feu pour le lunch, jungle verdoyante à perte de vue, soleil sur les quelques huttes des villageois, la vie paisible loin de la ville.
Sur le chemin de retour en barque, nous nous arrêtons à travers un village d’une des minorités ethniques regroupant plus de 500 personnes (c’est le village d’où est originaire Mister Trek). On y marche un peu comme des ovnis… Intéressant mais assez troublant. On sent qu’ici les gens n’ont pour la plupart jamais mis un pied de l’autre côté de la rivière, du côté terrestre qui permet l’accès au reste du pays. Je vois qu’ils ne comprennent pas trop ce qu’on est venu y faire. Rien ne semble pareil ici. J’ose à peine sortir mon appareil photo, de peur de vexer ou de paraître déplacée. Difficile sensation à mettre sur papier. Quelques heures plus tard, nous quittons nos deux guides adorés pour retourner à Banlung. Gentillesse, accueil, chaleur et simplicité, on a eu du mal à les quitter.
Ces deux jours furent remplis d’émotions, de souvenirs, et d’expériences uniques que je ne saurais citer tiret par tiret. L’ensemble fut beau et vivifiant. La nature, épatante, l’homme, surprenant. Le choc des cultures, interpellant. Comme je me sentais bien dans cette région et dans la homestay où je logeais, j’y suis restée deux jours de plus. J’ai rencontré pas mal de voyageurs avec qui nous avons partagé quelques beaux moments. On retiendra notre dîner local au bord du lac de Banlung au milieu des familles cambodgiennes qui nous regardaient l’air ébahi et s’agitaient dans tous les sens tentant de nous expliquer comment procéder avec ce qui était sur nos assiettes. Rencontres proches avec la population. Joie de vivre qui plane au dessus de nous. Fous-rires partagés. Une fameuse étape de mon séjour au pays du sourire, vous l’aurez compris !
Comme cette étape m’a pas mal prise aux tripes et qu’il m’a été impossible de me limiter dans mon récit, j’ai décidé d’y achever mon article ici, histoire de vous permettre de souffler un peu.
La suite et fin du Cambodge arrive dans la foulée, j’espère vous avoir emmené avec moi à travers cette région magnifique…
Suite à quelques soucis techniques, j’ai perdu pas mal de photos de cette étape, malgré les quelques unes que je vous ai partagé, le reste ne sera que dans ma propre mémoire 🙂